samedi, 18 mars 2017
Thierry de Roucy, le prêtre intenable que l’Eglise menace d’excommunier
Thierry de Roucy, le prêtre intenable que l’Eglise menace d’excommunier
Le curé, sorte de gourou catholique, a été condamné en 2011 par un tribunal religieux pour abus sexuel et abus de pouvoir, mais refuse de se plier aux décisions de l’institution.
S’il n’était question d’abus sexuels et de dérives sectaires, l’affaire serait hautement cocasse. Un curé français chic et choc, Thierry de Roucy, vivant jusqu’à récemment près de New York, est menacé ni plus ni moins d’excommunication, c’est-à-dire d’être radié de l’Eglise, la peine maximale que l’institution peut infliger à ses fidèles. Bref, une sanction rarissime, d’autant plus pour un abbé. Prêtre très controversé, Thierry de Roucy est surtout devenu très embarrassant pour la hiérarchie catholique.
En 2011, il a été condamné par un tribunal ecclésiastique (la justice interne de l’Eglise) pour abus sexuel et abus de pouvoir sur l’un de ses bras droits, un jeune homme majeur au moment des faits. Puis en 2015, en appel devant l’officialité (le tribunal catholique) du Languedoc-Roussillon, il a été sommé de verser 80 000 euros de dommages et intérêts à sa victime, ce qu’il se refuse à faire.
Aucune procédure n’a été enclenchée devant la justice française, car la victime n’avait pas porté plainte à l’époque. «L’Eglise n’a pas de gendarmerie. Menacer Thierry de Roucy d’excommunication, c’est le moyen qu’a l’institution pour faire pression», explique àLibération une source proche du dossier. Seul moyen aussi de l’obliger à s’acquitter de ses 80 000 euros.
Dans les milieux catholiques, Thierry de Roucy n’est pas n’importe qui. Il a connu son heure de gloire en fondant, en 1990, une association humanitaire, Points-Cœur, très en vogue auprès de jeunes cathos de bonne famille pendant une quinzaine d’années.
L’objectif était d’envoyer bénévolement à l’étranger des jeunes en mission dans des quartiers pauvres. Aujourd’hui, Points-Cœur est toujours actif dans une quinzaine de pays. En parallèle, le prêtre a créé, sous son autorité, trois associations de prêtres et de religieuses qui comptent, en 2017 une centaine de membres.
«Culte de la personnalité»
Tout allait bien jusqu’à ce que les premiers témoignages parviennent aux autorités ecclésiastiques au début des années 2000, mettant en cause des dérives internes. «Tout tourne autour de la personnalité de Thierry de Roucy. Il y a un vrai culte de la personnalité et une idéologie très enfermante. On envoie, sans les former, des jeunes vivre dans des conditions très extrêmes», nous raconte une jeune femme, partie en mission au Liban il y a une douzaine d’années.
Au même moment, l’ex-bras droit de Thierry de Roucy alerte l’Eglise sur les abus sexuels dont il a été la victime. L’affaire remonte au Vatican, où la Congrégation pour la doctrine de la foi demande l’ouverture d’une procédure judiciaire interne qui aboutit, en 2011, à la condamnation du fondateur de Points-Cœur.
Homme de réseaux, Thierry de Roucy a toujours bénéficié d’importants soutiens, notamment dans la grande bourgeoisie catholique, ce qui lui a permis de faire traîner les choses. En 2013, il est même promu par l’Etat officier de la Légion d’honneur malgré sa condamnation par l’Eglise.
Depuis 2011, la pression s’est nettement accentuée, obligeant l’évêque de Toulon, Mgr Dominique Rey, à réagir. C’est de lui dont Thierry de Roucy et ses œuvres dépendent hiérarchiquement. Chef de file des milieux ultraconservateurs catholiques, Rey a longtemps traîné les pieds pour régler la question de Points-Cœur et de Roucy. Il est même intervenu en 2013 (mais sans succès) pour que le prêtre condamné puisse aller s’installer à Genève. Prudemment, l’évêque suisse du lieu a refusé de l’accueillir.
«Il n’en fait qu’à sa tête»
Coup sur coup, deux rapports commandés par Rey, le premier en 2014 et le second fin 2016, ont mis en cause les dysfonctionnements internes de Points-Cœur. L’évêque a dû aussi exiger que Thierry de Roucy rentre des Etats-Unis, le menaçant même, puisqu’il n’obtempérait pas, de le déchoir de son statut de prêtre pour «désobéissance». «Roucy n’en a toujours fait qu’à sa tête», explique un prêtre, très bon connaisseur du dossier.
En fait, c’est l’archevêque de New York, Timothy Dolan, qui a demandé expressément le départ de Thierry de Roucy, qui vivrait désormais en région parisienne. Frappé de plein fouet par les scandales liés à la pédophilie, l’épiscopat américain est devenu très sourcilleux.
De son côté, l’association Points-Cœur se terre dans son silence. Au siège, dans le sud de la France, on fait savoir que le responsable actuel, le père Laurent Pavec, «est à l’étranger». Pour ce qui est du fondateur, il est injoignable malgré plusieurs tentatives, vivant probablement en région parisienne.
Thierry de Roucy, malgré tout, bénéficie encore de solides appuis, rassemblés au sein d’une association, Compassion et Vérité, qui regroupe des parents de religieux engagés auprès de lui. En septembre 2016, son président, Thierry Palluat de Besset, a envoyé un très long courrier aux évêques français, dénonçant des «manipulations malhonnêtes» et contestant la régularité des procédures engagées contre le prêtre et ses œuvres.
De son évêché, Dominique Rey a été contraint, à son tour, de réagir et d’écrire, en octobre, à ses confrères évêques. Dans sa missive, Rey ne cachait guère que l’avenir de Points-Cœur était de plus en plus compromis. Pour l’heure, à Toulon, on attend surtout les directives en provenance du Vatican où plusieurs services planchent sur ce dossier complexe.
Procédurier et tenace, Thierry de Roucy, comme ultime parade, a introduit un recours pour contester la menace d’excommunication qui plane sur lui. Son chant du cygne, sans doute.
Bernadette Sauvaget
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